Explorant les coteaux escarpés qui relient les territoires des musiques traditionnelles et ceux des musiques improvisées, Rhizottome fait partie des belles rencontres que ces vagabondages savent offrir. Entre le saxophone sopranino de Matthieu Metzger et l’accordéon d’Armelle Dousset, il ne faut pas plus d’une mesure pour comprendre que tout fonctionne. Dès « Passe ton bac d’abord », qui ouvre ce second album autoproduit, on découvre en effet une musique rêveuse et légère qui s’impose immédiatement dans un délice de timbres joyeusement enlacés.
Le choix du sopranino pour cette danse perpétuelle avec l’accordéon pourrait surprendre ; pourtant, il apparaît comme une évidence. Matthieu Metzger fait des miracles, notamment sur le « Monstre affreux » de Rameau où son jeu cousu de raffinements permet toutes les audaces, jusqu’à se parer de couleurs baroques. Jamais cette musique ne tombe dans la virtuosité inutile. C’est la simplicité des mélodies qui garantit la souplesse de l’improvisation. Les timbres des deux instruments s’harmonisent à merveille, se caressent et se complètent.
Il serait réducteur de limiter l’apport de l’accordéoniste à la simple basse où à l’accompagnement ; elle est au contraire la base du duo et son principal moteur, celle qui définit les atmosphères et la place de chacun.
Dans un morceau comme « Pirate », Armelle Dousset, qui est aussi danseuse, dessine un relief formidable, à l’origine du charme de Rhizottome. Son jeu charnel et tout en mouvements se joue des mélodies, tournoie autour de son thème et offre à Metzger un écrin idéal. Ce dernier, quant à lui, montre une nouvelle facette de son jeu – passionnante. On le connaissait amateur de Métal, compagnon de route de Marc Ducret dans Le Sens de la Marche et Tower Vol. 1}, et on l’a remarqué au sein de l’ONJ de Daniel Yvinec. Sa prestation dans Rhizottome confirme une élégance alliée à une aisance déconcertante. Chaque prise de parole du sopranino ajoute une dimension chambriste au duo.
Délaissant l’imagerie balisée des folklores imaginaires au profit de divagations poétiques empruntées à telle ou telle tradition, le duo tricote la carte d’un territoire épuré et en perpétuel défrichage. Son terrain de jeu s’étend du nord de l’Italie (le chaleureux « Notte ») jusqu’au centre de la France (« Béranger »), et s’offre des frontières aussi poreuses que mouvementées où viennent s’immiscer quelques hectomètres venus d’Asie (« Voltaire/Fushin »). Dans ces contrées, les échanges entre saxophone et accordéon sont parfois tempétueux, mais jamais antagonistes. Sur le magnifique « Hyakunen no kodoku », tous deux vont jusqu’à entrer en symbiose et parler d’une même voix étrange, entêtante, comme l’alcool d’orge japonais qui porte ce nom. Les deux « t » de Rhizottome [1] ne font pas oublier son étymologie : en bons coupeurs de racines, Metzger et Dousset brassent toutes sortes d’essences pour créer une musique libre et déterritorialisée. On ne se lasse pas des arômes enivrants de ces bouquets composés.
[1] Le rhizotome est le nom ancien de l’herboriste, littéralement « le coupeur de racine ».
par Franpi Barriaux // Publié le 29 octobre 2012